On ne change pas une formule qui marche… En 2001, La Bâtie confiait à huit interprètes le soin de travailler chacun·e avec un·e chorégraphe qui lui créerait un solo : une inversion radicale des rôles, une expérience où l’interprète devenait moteur de la création. L’idée, reprise en 2018, avait à nouveau marqué les esprits par son audace et sa fraîcheur. Pour cette 49e édition, à l’heure où Claude Ratzé signe sa dernière saison à la direction artistique, le festival remet le projet sur le devant de la scène avec SIX/SIX.
Six jeunes interprètes – deux issu·es du monde de la danse, quatre de celui du théâtre – choisissent leurs partenaires de jeu (chorégraphes ou metteur·euses en scène) pour façonner un solo. Des morceaux choisis qui permettent de renouveler les écritures scéniques et qui remettent l’interprète au cœur de la création pour célébrer la transmission, la confiance et l’élan de la relève.

1/6 – Thibault Lac & Collin Cabanis (danse)
Fanfaron
Depuis la jetée, Collin Cabanis nous invite à contempler un horizon tumultueux dessiné par Thibault Lac. À travers les vestiges de sa mémoire sensible s’esquissent les mélancolies d’un saltimbanque hors du temps, pris entre les fantômes d’hier et les perspectives incertaines de demain. Une figure tantôt grave tantôt grotesque qui tente d’habiter le monde, sur fond de conflit à la fois diffus et omniprésent, intérieur et global.

2/6 – Delphine Hecquet & Clémentine Le Bas (théâtre)
Tout entière
Encore aujourd’hui, la photographe Vivian Maier (1926-2009) reste une énigme. Celle qui a travaillé pendant 40 ans en tant que gouvernante d’enfants a produit plus de 140’000 photographies, qui n’ont été développées qu’après sa mort. Son œuvre immense et silencieuse saisit des instants volés dans les rues de New York et Chicago et documente un temps de mutations politiques et sociales. Elle révèle aussi la posture d’une femme qui dessine l’humain dans une précision clandestine. Clémentine Le Bas veut se fondre dans le regard de la photographe et voir le monde à travers elle. Delphine Hecquet l’accompagne dans ce voyage intime pour lui permettre d’habiter un instant, « tout entière », cette femme et ses mystères. Mais que cherche-t-on véritablement derrière une œuvre ? Et que révèle une image sinon sa propre vérité ?

3/6 – Sophia Rodriguez & Emma Perez (danse)
Archéologie d’une danse fantôme
est une fouille intime dans le corps d’Emma Perez.

Ce solo aborde le corps comme un site archéologique stratifié de mémoires héritées, de rituels oubliés et de présences effacées.

Ces fantômes ne sont pas des figures lointaines,

mais des gestes, des silences, des rôles et des postures

devenus les nôtres sans jamais avoir été choisis,

venus d’histoires que nous n’avons jamais vécues,

de vies traversées sous d’autres noms.

Les mouvements émergent comme des fragments exhumés d’un temps lointain,

à peine visibles, refusant de disparaître.

Hanter soi-même

est un état de friction étrangement excitant.

Accueillir en nous les absent·es·x, les fantômes, accorder une place à ce qui n’habite plus notre époque, n’est-ce pas ce qui constitue le réel, l’aujourd’hui ?

Si Emma Perez peut devenir un paysage pour les fantômes,
je me demande…
si elle pourrait aussi accueillir les vôtres, le temps d’une apparition sur scène ?

4/6 – Lola Giouse & Ali Lamaadli (théâtre)
Pièce de chambre
Ce serait un jeu. Il y aurait un public et un acteur. Il commencerait par : « Coucou ! C’est moi, c’est Ali. » Cela ressemblerait à un Memory – un jeu pour lutter contre l’oubli, contre les pertes de mémoire, collectives et intimes. Un jeu pour se retrouver, se reconnaître, peut-être même se réparer. À travers les chambres du passé et du présent, Lola Giouse accompagne Ali Lamaadli, jusqu’à cette pièce de chambre où la mémoire devient terrain de jeu, d’adresse, et d’émotion. Où il peut se souvenir des beaux moments passés qui font surgir le maintenant.

5/6 – Nina Negri & Dylan Poletti (théâtre)
PUPPY-PLAY
« L’oppresseur n’entend pas ce que dit son opprimé comme un langage mais comme un bruit. » 
Christiane Rochefort, Définition de l’opprimé, préface de Scum Manifesto de Valérie Solanas (ed.1971)

Jusqu’où peut-on diriger et se laisser diriger ? Y a-t-il des limites ? Peut-on les dépasser ? 
PUPPY-PLAY joue et déjoue les mécanismes de pouvoir propres à la relation metteur·e en scène/comédien·ne. 
Dylan Poletti et Nina Negri interrogent ces rapports à l’ère de #MeToo et du déferlement de témoignages d’abus dans le spectacle vivant. Une performance d’agility qui résonne avec d’autres systèmes de domination/soumission… et parie sur la force de rébellion du vivant.

6/6 – Mathilde Morel & Kenza Zourdani (théâtre)
Hapax ou La Comparution Immédiate 
Appelée à comparaître sans savoir exactement ce qu’on lui reproche, confondue avec une autre, Kenzaka décide de prendre à sa charge cette accusation aussi sourde que massive. Quel remords intime se cache derrière sa défense acharnée ? Hapax ou La Comparution immédiate est une rencontre entre l’écriture poétique de Mathilde Morel et celle de Kenza Zourdani autour de deux impuissances radicales : celle des personnes vivant en Europe face à un génocide diffusé en direct, et celle d’un théâtre qui cherche la force de sa propre musique.